Revue de presse « Gironde Magazine » – Été 1997

Les accents singuliers

Chanteur et animateur de l’association « Jazz On The Blocks », animateur des « Nuits du Jazz Vocal », Thierry Valette vient de publier son premier enregistrement.

Voilà un peu plus de trois ans que Thierry Valette a inscrit son nom au programme des manifestations jazzistiques de la région. Travaillant avec Joseph Ganter et Carole Simon, correspondant de « Jazz On The Blocks », il s’est également fait connaitre en participant à une promotion du chant jazz, notamment au travers de stages d’enseignement clôturés par les « nuits du Jazz Vocal », autour de Michèle Hendricks, Sarah Lazarus et Laeticia Casabianca.

Avant de développer cette activité bordelaise, Thierry Valette débute comme danseur, s’initie au saxophone (Jean-Claude Forenbach), entreprend l’étude du chant au C.I.M. avec Christiane Legrand, travaille avec le trompettiste Serge Adam et la pianiste Sophia Domancich, perfectionne sa technique vocale auprès de Michèle Hendricks.

Accent et dynamique d’interprétation

Un timbre plutôt sec, ne « mouillant » pas certaines consonnes roulantes à la manière d’un Eddie Jefferson, l’inscription des inflexions les plus caractéristiques sur la prononciation des voyelles, leur donnant un mood original qui ne doit pas à un mimétisme béat (au contraire des effets rabâchés de certains chanteurs officiant dans une veine Rock n’ Roll), l’articulation nette, le détaché des syllabes, des manières enjôleuses tendant parfois fugitivement vers l’art d’un Sinatra (entendre ces délicates souillures râlées en fin de phrase sur le thème de Whisper not ou Softly as in a morning sunrise), concourent à faire de Valette un interprète attachant. Il y a à l’évidence un accent Valette, mêlant singularité d’intonation et phonétique personnelle, tout en s’inscrivant dans un tradition proche de l’art d’un Jon Hendricks (même si le timbre est ici moins velouté, moins sophistiqué).

L’art de l’interprète ne s’affirme jamais mieux que sur un type de répertoire qui permet de dramatiser l’interprétation. On notera, ainsi, au travers de ce qui m’apparaît comme le meilleur de cet enregistrement :
– Stolen Moments et sa mélodie flottante, au travers de laquelle Valette prend ses aises, alterne dérives et chants, étire l’exposé de la ligne mélodique.
– Whisper Not, à la fois par le placement de la voix, la mise en évidence des qualités mélodiques de la compositions (entendre les subtiles variations du dure entre le thème et la coda marche);
– Softly as in a moring sunrise, dont l’exposition débouche sur une improvisation en forme de mélopée (qu’il soit permis de dire que je repère là un des très rares moments où Valette choisit d’érotiser une interprétation, perspective qui me parait étrangère à ses aspirations).

On sent d’ailleurs cette volonté de mise en situation des compositions s’exprimer par ailleurs. Elle surgit par exemple derrière l’exercice traditionnel qu’est l’interprétation de Round Midnight (façon d’imprimer une allure par onomatopées, étirement des phrases et colorations, sur un thème d’une stature un peu obsédante). Elle se note encore de façon plus démonstrative dans l’affection du chanteur pour la lancement parlé d’une voix grave (Night in Tunisia, Softly as in a morinnig sunrise), comme s’il voulait d’emblée délimiter son erre. Se dessine bien, là, un art original, ce que confirme d’ailleurs le fait que le chanteur reste plus académique sur des interprétations très typiquement bop (Yardbird suite), marquées des lignes du hard bop (Sugar) ou trop connotées dans un genre musical (Mambo inn).

D’un mot, on louera le trio de partenaires. Arnaud Mattéi – accompagnateur régulier de Michèle Hendricks – joue de manière excellente sur les interstices du chant de Valette. Comme soliste, le pianiste s’affirme improvisateur discret, sonnant toujours juste dans le style imposé par le leader, y compris lorsqu’il lui incombe d’exciter une pièce. Jean Bardy (contrebasse) et yves Nahon (batterie) mettent parfaitement leur expérience au service de l’ensemble.

Xavier Daverat