Revue de presse « Gironde Magazine » n°56

Culture, spectacles

Franche connexion
Disque Valette Connexion – « Café Littéraire »

Le nouveau disque de Thierry Valette constitue une belle réussite musicale.

Il faut dépasser la seule constatation que les chanteurs de jazz français ne sont pas nombreux, pour ne pas camoufler derrière cet esseulement   la profonde originalité de Thierry Valette. La voix est claire, l’articulation dédiée, le timbre juste et assez frêle pour osciller du cristallin de l’émission à l’autorité de la ligne chantée. En outre, l’interprète possède des réserves pour varier avec subtilité ses interventions : ici, il mouille un peu l’émission (Bluesysolo); là, il force légèrement des syllabes terminales (Cristal); plus loin, il soigne le grain aérien pour jouer sur des traces nostalgiques (Bal Musette).

L’accent qui authentifie l’enracinement géographique du chanteur reste certes présent dans les inflexions (sur les labiales) et quelques tournures sonnent typiquement sud-ouest (« C’te »), mais Valette n’en fait pas l’épicentre de son expression; et si Nougaro resurgit parfois (notamment quand les roulements des r rencontrent la tessiture grave), la tentation de la variété n’affleure jamais.

Ce qui touche le plus dans le chante de Thierry Valette, c’est le labile (Racines), le fluet. C’est encore l’instant où cette transparence rencontre une pièce un peu énervée par son tempo, densifiée par sa construction harmonique. C’est aussi ces moments auxquels l’interprétation vacille dès que le chant quitte le thème pour devenir scat (Ta Muse, Café Littéraire), un peu comme dans ce passage très délicat, et magique lorsqu’il est réussi, qui mène l’interprète d’une comédie musicale de la parole au chant, sans forcer, par simple glissement naturel. C’est également la manière de prendre la ballade sans affectation, avec une étonnante souplesse (Tumulus).

Vient enfin la mise en place, toujours subtile, et surtout le partage avec des musiciens pertinents; d’où la constatation que ce disque est moins celui d’un chanteur de jazz accompagné de sa formation que celui d’un ensemble (au point que le leader puisse délaisser l’improvisation au profit de ses musiciens, comme sur K Talgin). Et, je retiendrais parmi d’autres quelques séquences bienvenues : le scat doublé d’une guitare électrique au son clair (Ta Muse), la montée en tension avec la contrebasse avant de laisser la place au piano (Café Littéraire), et le nombre de parties de piano, denses (Cristal), aux motifs de type cantabile (Tululus, L’Enfant). Plus particulièrement, Serge Moulinier, pianiste et responsable d’arrangements éclairés, est l’autre grand artisan de la réussite de ce disque.

A cet égard, « Valette Connexion » porte bien son nom : il y va bien sur de la suggestion que le courant passe entre les membres d’une vraie formation; j’y sens même un petit trait canaille, la signature d’un gang qui réussit son coup par réseau de complicités.

Xavier Daverat